Quand j’ai ouvert la Porte…

« L’instant est béni. Tout le reste est souvenir »
— Jim Morrison

Au printemps 2004, j’ai 19 ans et je suis étudiante en prépa littéraire. Ma professeure d’Histoire organise une sortie au cimetière du Père Lachaise, où reposent les grands noms de l’histoire de France du 19ème siècle, programme de cette année d’Hypokhâgne. 

A la fin de la visite, bien qu’il soit « hors programme », nous faisons un crochet par un incontournable des lieux : Jim Morrison.

En découvrant cette tombe recouverte de grigris, de fleurs desséchées et de bougies consumées, mon impression est forte. Je n’ai jamais écouté les Doors, mais je suis étrangement émue, et je m’interroge sur les vibrations qui émanent de cette tombe, plusieurs décennies après la mort de l’artiste.

J’en parle à Maman en rentrant à la maison. Quelques jours plus tard, je trouve un disque des Doors sur mon bureau… C’est le premier album éponyme de 1967. 44 minutes d’introduction à l’aventure des Doors. Une aventure éclair qui ne dure guère plus de 4 ans, jusqu’à la mort de Jim en juillet 1971 à Paris.

A la maison on écoute du rock et du blues. Mais ce son est différent… Un orgue prédominant, un batteur influencé par le jazz, un guitariste formé à la folk et au flamenco. Mélange unique au service d’une voix à part.

L’année suivante, je suis installée dans un petit studio du 5ème arrondissement et j’étudie à la Sorbonne. Je n’ai pas de TV ni de connexion internet chez moi. Mon lien vers l’extérieur c’est radio nova et mon lecteur CD. Les Doors font partie de la BO de cette année de découvertes parisiennes. Je suis tombée en amour avec Jim, sa voix, ses textes, ses poèmes mystiques. Je lis sa biographie, je fais le tour des lieux parisiens qu’il a fréquentés dans les dernières semaines de sa vie : Saint-Germain-des-Prés, la rue Beautrellis où il a vécu…

Je voudrais remonter le temps pour assister à un concert des Doors et me laisser porter par la performance chamanique de Jim. J’écoute The End, Riders on the Storm, When the Music’s over… comme une drogue. Mes amis n’écoutent pas tellement ce genre de musique. Je suis assez isolée dans cette passion. Je n’ai pas grand monde à part ma mère et mon frère pour en parler. Mais je vis cette passion intérieurement.

Je deviens une experte de l’histoire du groupe, des poèmes de Jim et de leurs références à Blake, Walt Whitman, et à la culture amérindienne. Je suis fascinée par le récit des expériences de Jim, en particulier celle de l’accident survenu sur une route du Nouveau Mexique quand il était enfant. Alors qu’il voyage en famille, Jim est témoin d’un accident impliquant un camion transportant des ouvriers amérindiens. Des corps ensanglantés gisent au milieu de la route. Cette scène frappe le jeune Jim. Plus tard, il se dira convaincu d’avoir été traversé par l’esprit d’un Indien qui ne l’aurait jamais quitté…

Je n’avais jamais fait de playlist des Doors, comme si j’avais trop de respect pour les albums pour oser ! J’écoute généralement les Doors par album entier, de la première à la dernière chanson. Néanmoins, s’il fallait ne choisir que quelques titres, ce serait ceux-là :

When the Music’s Over : En quelques seconde d’intro, on s’imprègne du son iconique des Doors indissociable de l’orgue prédominant de Ray Manzarek.

“We want the world and we want it… NOW !”

Back Door Man : Chanson qui démarre par un cri de Jim, et dont les paroles concernent sa pratique sexuelle favorite.

Ecouter le "cri" de Jim en live...

The End : Envoûtante, connue pour son célèbre passage oedipien improvisé en 1966 (avant l’enregistrement de leur premier disque) sur la scène du Whisky a Go Go à Los Angeles. Cette transgression vaudra aux Doors d’être dégagés du club avant d’avoir terminé leur set.  

Moonlight Drive : C’est en récitant un vers de ce poème – alors qu’ils traînaient à Venice Beach un soir de l’été 1965 – que Jim donna l’idée à Ray Manzarek de monter un groupe :

“Let's swim to the moon

Let's climb through the tide

Penetrate the evening that

The city sleeps to hide”

Tell All the People : Ouverture de l’album The Soft Parade de 1969, cette chanson dévoile une voix renouvelée de Jim, plus chaude et profonde, et son talent de crooner qui porte sur l’ensemble de l’album.

Peace Frog : Une chanson tout en paradoxe qui parle de rues ensanglantées (et se réfère au traumatisme de l’accident de son enfance) sur un rythme particulièrement enjoué :

“Indians scattered on dawn's highway bleedin'

Ghosts crowd the young child's fragile eggshell mind”

L.A. Woman : Les racines et influences blues des Doors sont exacerbées sur l’ensemble de l’album L.A. Woman, qui est pour moi le bijou de leur discographie. La voix de Jim est à son apogée, elle a pris autant d’épaisseur que de sa nouvelle corpulence. Jim se cache derrière cette enveloppe de chair et une imposante barbe. Il va mal en cette année 1971 qui est celle de sa mort. Le son de sa voix est presque annonciateur de sa fin prochaine. Mais Jim est grandiose. Jim Morrison, Mr Mojo Risin’, s’élève comme un astre. Sa légende est faite.  

Ecouter les titres sur Spotify

En 1978, les Doors sortent un album posthume : An American Prayer, qui est le titre d’un recueil de poésie de Jim. Comme s’il savait que sa fin était proche, le 8 décembre 1970, jour de son 27ème anniversaire (le dernier qu’il fêtera), il s’offre un enregistrement de ses textes lus. Ray Manzarek, Robby Krieger et John Densmore ont repris ces enregistrements de la voix de Jim pour les mettre en musique. L’album est une merveille.

Je rends toujours visite régulièrement à Jim au Père Lachaise dès que j’ai le temps. C’est un lieu que je trouve « vivant », grâce à la nature omniprésente dont les couleurs changent au fil des saisons. Ce n’est jamais triste. Toujours beau. Et émouvant d’échanger un regard entendu avec les pèlerins, de tous âges et origines, réunis par cette sépulture par curiosité pour cette figure de l’histoire de rock’n’roll ou par amour véritable pour l’immense artiste et poète qu’il a été.

Aujourd’hui, 9 décembre, il aurait fêté ses 82 ans. Un âge qu’il n’a sans doute jamais imaginé atteindre…

« Dans la vie, j’ai eu le choix entre l’amour, la drogue et la mort. J’ai choisi les deux premières et c’est la troisième qui m’a choisi... »
— Jim Morrison

Je vous encourage à ouvrir les portes… et vous souhaite une belle rencontre poétique et musicale à travers les écoutes !

Clara

Suivant
Suivant

Patti, I love you.