Patti, I love you.
Comme tant d’autres choses, ma passion pour Patti Smith je la dois à ma mère.
En l’an 2000, j’avais 15 ans. C’est l’année de sortie de l’album Gung Ho, que Cath s’est empressée d’ajouter à sa grande collection de disques alignés sur le meuble blanc du salon, à côté du grand miroir. Les albums précédents de Patti figuraient sûrement dans cette collection mais je ne les connaissais pas encore. Alors c’est avec ce son contemporain de mon adolescence, que j’ai découvert Patti. C’est drôle comme on apprend à aimer un.e artiste sans s’en rendre compte quand c’est une influence des parents. Le message « tu devrais t’y intéresser » passe tellement mieux quand il n’est pas dit. Il infuse discrètement. C’est une bande son associée au paysage tranquille de la maison. Une ambiance. Une pochette de disque qu’on n’a pas vraiment pris le temps de regarder, dont on n’a pas tout à fait lu le titre, mais dont l’image est devenue familière parce qu’elle trône souvent au milieu du salon.
Et puis un jour, à force d’entendre, on se met à écouter. Quand passe le titre qui nous fait vibrer un peu plus que les autres, on va regarder sur le lecteur à quel numéro il correspond. Et on va - enfin - lire sur la pochette son nom. Pour le connaître et ne plus l’oublier. « Persuasion », « Glitter in their eyes » …
L’étape d’après, c’est l’écoute active et répétitive. À la maison, en voiture, dans le casque de mon « Walkman ». Et voilà… Patti est entrée comme ça dans ma vie et elle ne l’a plus quittée.
Plus tard, j’ai découvert ses premiers albums des années 70, Horses, Radio Ethiopia, Easter… et Twelve, album de reprises de 2007, un trésor. Et puis j’ai commencé à lire Patti et apprécier son histoire, sa vie de poète, son témoignage d’une époque, le New York des années 60-70 où elle a côtoyé Warhol, Lou Reed, Janis Joplin, Bob Dylan…
Just Kids, son récit autobiographique, m’a fait voyager dans cette époque et m’a fait comprendre que Patti Smith est une artiste totale : d’abord poétesse, dessinatrice, puis photographe, en plus d’être cette immense figure du rock’n’roll, marraine du punk. Tout est art dans sa vision du monde. Tout ce qui l’entoure : petits objets fétiches, paysages lointains, clichés urbains, carnets griffonnés – prend un caractère sacré. Dans son Livre des jours, elle célèbre la vie et égrène les petites réjouissances du quotidien à travers un visuel poétique et une pensée pour chaque jour de l’année. Dans Glaneurs de rêves, recueil en prose, on comprend qu’elle a depuis l’enfance cette âme de collectionneuse de petites choses et de petits instants. En voici un extrait :
« Rubis indien
J’ai toujours possédé un genre de baluchon, un simple bout de tissu ou de peau noué sur lui-même. Mon sac, noble compagnon, produit, une fois ouvert, un monde défini par son contenu – un flux, unique, chéri.
J’avais un rubis. Imparfait, splendide comme du sang à facettes. Il venait d’Inde, où ils échouent sur le rivage.
(…)
Il m’effrayait, il m’inspirait, je le gardais dans mon sac, dans un paquet jaune ciré de la taille et de la forme d’une lame de rasoir. Je m’arrêtais pour le sortir et le regarder. Je le faisais si souvent qu’il ne m’était plus nécessaire de voir ce que je regardais. Et à cause de ça, je ne saurais dire au juste quand il a disparu.
Je peux encore le voir, pourtant. »
L’univers de Patti Smith est généreux et accessible, universel. Son mode d’expression est parfois mélancolique mais jamais triste, toujours chargé d’espoir. Et ses messages, reflets de son cœur et de ses tripes, sont immanquablement pacifistes.
Je me sens souvent connectée à Patti. Par amour pour sa musique que j’écoute souvent, mais aussi pour beaucoup de sujets d’adoration en commun et une multitude de petits détails qui me touchent. Dans son Livre des Jours : une photo d’elle recueillie près de la tombe de Jim Morrison au Père Lachaise, un lieu que je fréquente depuis que je suis étudiante et qui m’apaise ; sa façon de s’entourer de petits objets fétiches comme sa statuette de Rûmî qui me rappelle mon petit derviche tourneur en faïence logé au milieu de ma bibliothèque ; cet instantané de la rue du Louvre exposé à la Fondation Cartier qui capture l’enseigne vintage « Duluc Détective » qui m’a toujours fait sourire depuis que je vis à Paris, pour n’en citer que quelques-uns…
Un dernier mot sur le style de Patti... Combien de photos de cette icône, souvent capturées par des photographes mythiques à commencer par son ami, compagnon et âme sœur Robert Mapplethorpe. Punk, androgyne, Patti a porté la chemise blanche masculine et la cravate mieux que personne. Puis elle adopté un uniforme sobre et toujours rock’n’roll, à son image : longue veste noire, jean usé par la vie, bijoux (souvent en argent et turquoises, typique de l’artisanat amérindien), chapeau. Sa chevelure longue devenue grise, tressée, lui donne une allure chamanique qui résonne avec le rythme envoûtant de ses chansons. Patti ne s’est jamais excusée de ressembler à elle-même. Une douce leçon – dépourvue d’injonction – de style et d’authenticité.
Voici une playlist où j’ai réuni quelques titres de Patti. J’ai volontairement placé en dernier « Gloria », grand classique du rock’n’roll (écrit par Van Morrison en 1964). La version de Patti Smith, ouverture de l’album Horses, qui vient de fêter ses 50 ans, est explosive !
Bonne lecture si vous décidez de plonger dans ses écrits, bonne écoute si vous prenez le temps d’appuyer sur play…
A très vite,
Clara